LES CONDITIONS DE VIE

 

 

 

La situation matérielle, sociale, morale et médicale des Travailleurs Indochinois a connu trois périodes différentes.

La première, depuis leur départ et jusqu'à l'Armistice, a été sur ces points relativement correcte.

S'ensuivit, et jusqu'après la Libération, une longue dégradation de leurs conditions de logement, d'habillement, d'alimentation, d'emploi. Les témoignages et les documents retrouvés sont explicites à ce sujet.

Enfin, après un redressement indiscutable en 1946, la dernière période est dominée par le différent politique et l'exaspération dûe au report des rapatriements.

 

Le Logement

"Le logement des Travailleurs Indigènes, dit l'Instruction de 1934 (art. 92), est assurée par l'Etat"

Il pouvait l'être soit directement, soit, nous l'avons vu, par l'intermédiaire des employeurs.

Le Service de la M.O.I. n'était pas propriétaire de lieux de cantonnement. C'est donc d'autres départements ministériels qui assumaient l'obligation de l'Etat lorsque celle-ci n'était pas "sous-traitée" aux employeurs. Près des arsenaux et poudreries c'est en général le Ministère de la Guerre qui mettait des "camps", à disposition des compagnies. Quelquefois des casernes assumaient ce rôle, ainsi à Privas, Grenoble ou Antibes. De son côté, le Ministère de l'Intérieur logeaient quelques compagnies dans des cantonnements établis pour les sinistrés, les réfugiés ou pour la concentration de certains suspects (Rivesaltes ou Agde, par exemple).

 

 

 

Des noms furent donnés à ces divers camps. Il faisaient en général référence à des personnages historiques ou politiques vietnamiens ou à des provinces ou lieux d'origine des compagnies.

Concernant les employeurs, cette obligation fut remplie de manière variable du point de vue qualité. Ces lieux de cantonnement, appelés d'une façon générale "camps", pouvaient être des entrepôts, des usines désaffectées, des groupes de baraques, etc...

 

 

 

 

Ces locaux étaient meublés succintement. Les Travailleurs ne perçurent que très rarement des armoires et devaient disposer leur paquetage sur des planches fixées à la tête de leur lit. Le matériel de couchage (isolateur, paillasse), ne fut quasiment pas renouvelé et les hommes durent le plus souvent se coucher sur des planches et ne devoir qu'à eux-mêmes la plus petite amélioration.

Quoi qu'il en soit, et comme le prouve l'extrait du document que nous présentons, le logement des Travailleurs ne fut jamais facile à résoudre.

 

L'habillement

Selon l'article 109 de l'Instruction de 1934, "L'habillement est fourni aux travailleurs indigènes coloniaux à titre gratuit",

Les O.N.S. avaient reçu des effets d'habillement lors de leur départ et ceux-ci avaient été complétés, en particulier de vêtements chauds, lors de leur arrivée. Le Service de la M.O.I. ne fut pas en mesure de fournir par la suite les minimas prévus en rechange et ce problème ne fut pas résolu de façon satisfaisante avant 1945.

"Pour les chaussures, ils les utilisaient le moins possible en confectionnant des "ngôc", sorte de semelle de bois munie d'une courroie de cuir ou de toile... Dans de vieilles enveloppes de paillasses, ils se confectionnaient des pantalons de travail.... Par ces expédients, les travailleurs conservaient pour leurs sorties une tenue présentable."

A Oran, le détachement débarqué en 1941 n'était pas mieux loti ainsi qu'en atteste le rapport de leur responsable en date du 26/12/1942.

 

"Ces malheureux Annamites ont dû travailler tout l'été dans les plaines de Mocta Douz avec des effets d'hiver reçus en janvier, sans effets de rechange et souvent même sans chemise ......

....Dois-je donc les envoyer en guenilles sur les lieux de travail exposés à toutes les intempéries, les voir revenir parfois au cantonnement entièrement mouillés, et qu'ils n'aient absolument rien pour se changer, les laisser grelotter sur leurs paillasses ?"

 

Une inspection faite dans toutes les légions en juin 1945, lors du rattachement aux Ministère des Colonies permit de constater

"que les besoins des Travailleurs Indochinois étaient extrêmement urgents, certains d'entre eux n'ayant rien perçu depuis leur débarquement en France" . La situation était telle qu'en octobre 1945, la D.T.I. se vit accorder le bénéfice de la superpriorité, au même titre que les Houillères.

 

L'alimentation

 

 

 

La situation en matière d'alimentation ne semble pas avoir été aussi dramatique que celle de l'habillement. Elle n'en fut pas pour autant satisfaisante.

Les témoignages sont nombreux qui mentionnent la nécessité pour les Travailleurs Indochinois de trouver par eux mêmes un complément alimentaire aux rations procurées par l'Ordinaire (achat auprès de l'Intendance, de l'O.C.A.D.O., Office Central d'Achat des Denrées Ordinaires, ou auprès de fournisseurs locaux).

 

Extrait

de la Revue

"VENCE au XXème siècle"

 

Témoignage de R.B., avril 2004

"Je me souviens très bien de la centaine de travailleurs indochinois que l'on avait fait venir en 1941 pour aider à la construction du barrage...... Tout le monde, en ce temps là, cherchait par tous les moyens à améliorer l'ordinaire, car tout était rationné et les denrées étaient très rares. Vos compatriotes avaient trouvé entre autre le moyen de se procurer des têtes de vaches ou de boeufs, auprès d'un boucher-charcutier qui fabriquait des boites de pâté avec des animaux réquisitionnés par les autorités d'alors. Je vous raconte cette anectode car elle est restée dans ma mémoire à cause de son aspect cocasse. Car il était amusant de voir ces petits bonhommes de vietnamiens se relayant deux par deux qui tenaient la tête de la vache (non pelée) par les cornes dont souvent la langue pendait et s'en allant en trottinant jusqu'à leur campement."

 

 

Les rémunérations

Le système global de dédomagement-rémunération des Travailleurs Indochinois comprenait :

- des sommes versées aux Travailleurs :

. une prime de travail, en général un pourcentage du prix facturé à l'employeur, augmentée le cas échéant de primes de rendement ou d'heures supplémentaires. Dans une première période de 1939 à 1944, l'objectif de la M.O.I. était d'assurer son équilibre financier. La part qui revenait directement au Travailleur était le résultat d'un calcul où la notion de collectivité primait. Cette part représentait au maximum 25%. Après la Libération, suivant ainsi les mesures de remise à niveau des conditions de vie des Travailleurs, leur régime fut assimilé à celui des travailleurs français et chaque travailleur fut considéré individuellement. L'Etat ne conservait plus que 50% de la somme demandée aux employeurs. En cas d'inactivité, les Travailleurs touchaient une prime de chômage.

. une allocation journalière pour toute journée de présence, variable selon les grades,

 

Source : Pierre Angeli

 

. un pécule, somme "réservée" aux Travailleurs, proportionnelle au temps passé en Métropole et qui devait lui être versée à son retour en Indochine. Ce pécule variera de 0,50 franc de 1939 à fin juin 1945 à 2,00 francs par jour à compter du troisième trimestre 1945. Il n'était pas versé dans toutes les positions, par exemple lors des peine d'isolement ou de désertions ou lorsque le travailleur passait, ce fut le cas de certains, sous l'autorité militaire.

 

 

- une allocation versée aux Travailleurs ayant charge de famille à leur recrutement :

Remarquons tout d'abord que l'existence même de cette allocation démontre que parmi les requis un nombre non négligeable d'entre eux étaient pères de famille.

Donc la conjointe d'un requis recevait durant l'absence de celui-ci une allocation de base complétée selon le nombre d'enfants du couple. L' allocation de base variera de 3 piastres à 16 piastres par mois et le complément par enfant de 0,30 à 2 piastres par mois.

 

Si la réalité des versements faits en France aux Travailleurs ne peut être remise en cause, des questions se posent concernant la réalité des versements des allocations aux familles en Indochine, du moins après 1945. En effet, à leur retour de nombreux Travailleurs ont émis des réclamations et nous avons retrouvé un courrier du Haut-Commissaire Léon Pignon du 5/07/1949 au Commissaire pour la République pour l'Annam qui aborde le sujet :

"Si en effet, l'Administration est hors d'état de prouver que les allocations ont été payées postérieurement au 1er avril 1945, il est bien évident qu'elles restent dues à partir de cette date."

Parrallèlement, les Travailleurs étaient incités à épargner. Il s'agissait d'une épargne obligatoire instituée en 1942 par la création du Compte-dépôt piastres. Il était alimenté par un prélèvement sur les sommes dues au Travailleur. Rapidement, en 1943, il devint facultatif. Il nous est donné à penser que seule une minorité des Travailleurs pouvait raisonnablement se voir privée, pour ses besoins immédiats, d'une partie de ses revenus. Cette formule fut modifiée par la suite, le compte dépôt piastres devenant un compte dépôt francs à la Banque de l'Indochine en France suite aux difficultés de communication avec la Colonie. Le Travailleur devait se voir rembourser les sommes déposées et les intérêts lors de son départ de France. Après une période de relatif succès, l'épargne au moyen de ce compte bloqué fut peu à peu abandonnée par les Travailleurs qui préféraient ouvrir un livret d'épargne classique et pouvoir ainsi retirer des sommes à leur convenance.

 

 

L'état sanitaire

 

L'état de santé des Travailleurs Indochinois fut bon dans la première partie de leur travail en France, jusqu'à l'Armistice. Mais dès la fin de 1940, par suite de la dégradation des conditions matérielles dont nous venons de parler, associée à l'éxécution de travaux plus pénibles et insalubres, cet état de santé s'aggrava, en particulier sur le plan pulmonaire.

Le grand ennemi des Travailleurs Indochinois en France fut en effet la tuberculose. Près de 40% des Travailleurs décédés en France sont morts de tuberculose pulmonaire.

Avant 1945, les Travailleurs n'étaient en principe pas admis dans les hôpitaux civils de la région d'emploi mais regroupés à Marseille dans un hôpital appelé Le Dantec créé dans l'infirmerie de la prison des Baumettes. Cet établissement avait une sinistre réputation parmi les Travailleurs que certains qualifiait de "mouroir des Indochinois". Ceux-ci n'eurent cesse de réclamer l'amélioration du système d'hospitalisation. Ils obtinrent le transfert de l'hôpital Le Dantec dans des locaux plus vastes et mieux adaptés situés dans le quartier de Montolivet. Puis les blessés et malades eurent enfin accès aux hôpitaux militaires, les tuberculeux étant regroupés à l'Hôpital Colonial de Pierrefeu créé en février 1945.

Existait également un camp de repos à Peyrolles en Provence.

 

Les activités

Une section des Oeuvres Sociales fonctionnait à la M.O.I., mais son activité était réduite car c'était surtout des Assistantes Sociales du Service Social Colonial qui s'occupaient des Travailleurs. Ces oeuvres n'eurent jusqu'au rattachement au Ministère des Colonies ni organisation stable, ni programme défini, ni crédits suffisants.

Cependant quelques réalisations purent voir le jour :

- ainsi, pour arracher les Travailleurs à l'ennui, des foyers furent créés qui leur offraient occupations et distractions pendant les heures de repos et particulièrement pendant les périodes de chômage.

- la mise sur pied de troupes théâtrales fut encouragée de même que la pratique du sport.

 

Témoignage de Madame R.C. le 23/11/2003

"depuis notre coup de téléphone, j'ai appris qu'un groupe de jeunes indochinois avait travaillé à la construction d'un barrage sur le Lot à Cajarc. Ils se réunissaient, le soir, pour monter des pièces de théâtre, des saynettes, des concerts… Les gens du village et des environs étaient heureux d'aller les écouter. Une de mes nièces, âgée alors de 16 à 18 ans, a gardé un bon souvenir de ces veillées"

 

 

- le scoutisme fut aussi pratiqué par certains Travailleurs. On recensait, par exemple, dix-neuf "clans de Scouts Indochinois" en janvier 1944 (Toulouse, Bergerac, Lyon, Roanne, Marseille, Montpellier, etc...)

 

Le clan Quang-Trung

 

- un journal, le "Cong Binh Tap Chi", dont le but était d'établir un lien entre les Travailleurs des différentes unités fut créé en 1941.

 

 

- la célébration des fêtes rituelles, et tout particulièrement la fête du Têt, fut facilitée. Chaque année, au mois de février, les employeurs devaient accorder aux hommes, deux à trois jours de congé pour qu'ils puissent célébrer dignement ces festivités du Jour de l'An annamite.

 

 

Témoignage de R.B., avril 2004

"J'ai assisté à un seul spectacle organisé par vos compatriotes. C'était sans doute la Fête du Têt et j'avais été invité par leur chef, un jeune vietnamien très intelligent, serviable et parlant très bien notre langue. C'était notre interprète.... il n'était pas possible de trouver des bougies, du papier pour fabriquer des lampions, des guirlandes et à fortiori un dragon, et encore moins des pétards. Je crois me souvenir de quelques chants et d'avoir bu du thé."

 

 

 

 

La pratique religieuse fut encouragée. Des pagodes boudhistes ou ancestrales furent édifiées dans la plupart des camps. Une Aumônerie catholique fut instituée pour le millier de travailleurs catholiques.

 

La discipline

Il nous semble important de dire quelques mots sur cet aspect du quotidien des Travailleurs Indochinois.

Les travailleurs indochinois venus en France étaient des civils. S'ils furent constitués en Unités encadrées, c'est parce que c'était

"la seule formule propre à assurer une saine administration et une protection efficace de ces hommes placés soudain dans des conditions de vie totalement différentes de celles auxquelles ils étaient habitués, et ignorant tout de notre pays, à commencer par la langue française"


Cette formule exigeait cependant une certaine discipline, calquée sur celle en vigueur dans les unités militaires. Cette situation n'est pas anodine à plusieurs points de vue et elle a participé pleinement à la confusion sur le statut de ces travailleurs "militarisés" et non militaires.

Les travailleurs devaient rentrer dans les cantonnements aux heures fixées, y observer l'ordre et les règlements édictés pour la bonne tenue et l'hygiène, ils devaient être conduits en ordre sur les lieux du travail ; il leur était interdit de découcher et de se livrer à des jeux d'argent ; pour faire régner la discipline et observer les règlementations, le commandement pouvait infliger une série de punitions, isolement simple (salle de police), isolement spécial (prison), envoi à la section de classement ou à la compagnie de discipline, rétrogradation, cassation, etc….

L'Instruction de 1934 avait prescrit un régime disciplinaire assez sévère, proche de celui de l'armée, pour les travailleurs coloniaux civils encadrés.
Après la Libération, le Gouvernement mit l'accent sur leur caractère de travailleurs civils, et, tout en maintenant une certaine discipline indispensable à toute collectivité encadrée, adoucit la réglementation en la matière.Toutes les mesures de commandement furent désormais prises après consultation de comités élus par les travailleurs à tous les échelons de la hiérarchie.

La défense des travailleurs put être légalement prise par les organismes syndicaux auxquels les Indochinois purent librement adhérer. Les règles de discipline furent adoucies et les sanctions privatives de liberté furent supprimées ; Enfin les travailleurs qui le désiraient purent obtenir, sous certaines conditions, la liberté absolue grâce à la levée de réquisition, qui les assimilait très exactement, en droits et en obligations, aux ouvriers français.


La Compagnie, devenait pour le travailleur indochinois, un foyer où il n'était soumis à aucune obligation autre que celle d'accomplir ponctuellement le travail qu'avaient accepté en son nom ses délégués auprès du Commandant et ses délégués syndicaux, et celle de ne pas troubler l'ordre dans les cantonnements, les ateliers et les chantiers.


Le contrôle des conditions de vie et de travail

 

L'instruction de 1934 prévoyait le contrôle des unités de la M.O.I. par des officiers généraux ou de hauts fonctionnaires désignés par le Ministre des Colonies et détachés auprès du Département du Travail d'une part, et par le Service de l'Inspection du Travail, d'autre part.

Selon Pierre Angeli ces organes de contrôle ne furent pas institués.

De son côté, le ministère du Travail assurait les contrôles par un "Service de l'Inspection" qui lui était propre.

Cependant les "travailleurs indochinois" n'en demeuraient pas moins des "coloniaux" et le ministère des Colonies entendait garder un oeil sur leur situation, il procédait donc lui aussi, en accord avec le Département du Travail, à des missions d'inspection. Nous en publions quelques-uns ci-après.

 

 

 

 

 

Résistance

 

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