LES RECRUTEMENTS

 

 

Modalités du recrutement

 

Dès l'état de guerre déclaré, le général CATROUX, Gouverneur général de l'Indochine, fait opérer la levée de main d'oeuvre prévue par la Loi.

Pour constituer les Unités, il pouvait être fait appel soit à des engagés, ayant souscrit un contrat de travail pour la durée des hostilités, soit, en cas d'insuffisance, à des requis.

C'est le Ministère des Colonies qui avait la responsabilité du recrutement et du transport en France de la main d'oeuvre indigène.

Le nombre de travailleurs indochinois prévu pour la Métropole était de 100.000 hommes.

 

 

Extrait de déclarations faites à la radio le 8 novembre 1939 par Georges MANDEL :

"… des ordres ont été donnés pour faire venir du Tonkin un premier lot de 70 000 ouvriers ; des centaines de milliers d'autres pourront suivre car ce n'est qu'un début. Il sera très aisé de lever, au fur et à mesure des besoins, de nouveaux contingents de soldats ou de travailleurs".

Source : L'Illustration, l'Empire français dans la guerre - mai 1940

 

 

Volontariat ou réquisition ?

"Dans un premier temps, les Administrateurs Chefs de Province firent dresser la liste des hommes de 18 à 35 ans volontaires pour aller travailler en France, mais ces volontaires ne suffirent pas à former les contingents prévus. Ils se révélèrent surtout parmi les jeunes gens évolués des Ecoles. Avant l'embarquement, tous les volontaires parlant français furent nommés interprètes ou surveillants selon leur degré d'instruction. Les estimations chiffrent la part des volontaires entre 10 et 30% de l'effectif qui rejoindra la métropole. Les autres furent donc requis et assujettis au travail forcé."

 

 

L'enrôlement

 

L'ordre de réquisition devait en principe être donné par écrit, sur bulletin extrait d'un carnet à souche. Il devait indiquer les nom et qualité de l'Autorité requérante, le quantum et la durée de la prestation,le nom de la personne requise, la date et le lieu de réquisition, et devait porter la signature de l'Autorité requérante. Ci-dessous des ordres tels que pouvait en recevoir le personnel convoyeur, le personnel médical ou certains interprètes à priori non volontaires. On remarquera qu'il s'agit de personnes faisant partie d'un cadre de l'administration indochinoise. Concernant les travailleurs, aucun de ces ordres n'a encore été retrouvé et il nous paraît peu probable que la trace de leur réquisition puisse l'être sous cette forme.

 

 

Ce sont les autorités indigènes, surtout communales, qui furent chargées des désignations.

Dans les faits, cette réquisition semble s'être déroulée selon des critères que les observations faites à posteriori, ne permettent pas de préciser exactement tant les cas de figures recensés sont différents. Tout porte à croire cependant qu'arbitraire et arrangements divers ont prévalus. Le critère principal semble avoir été de parvenir à obtenir les effectifs nécessaires.

La presque totalité des requis étaient des agriculteurs. Les contingents venaient surtout d'Annam et du Tonkin. Le Laos ne fournit aucun travailleur et le Cambodge un peu moins d'une centaine. Ces derniers furent en réalité recrutés en Cochinchine.

Les provinces où ont eu lieu des recrutements sont les suivantes (décompte en cours) :

 

TONKIN
ANNAM
COCHINCHINE
BAC-GIANG
BINH-DINH
  BA-RIA
9
HA-DONG  
PHU-YEN
  BEN-TRE
243
HUNG-YEN  
QUANG-BINH
  BIEN-HOA
VINH-YEN  
QUANG-TRI
HA-TIEN
4
HAI-DUONG  
HA-TINH
  CHO-LON
60
KIEN-AN   QUANG-NAM   GIA-DINH
245
PHU-THO THUA-TIEN   MY-THO
SON-TAY
463
NGHE-AN   GO-CONG
3
BAC-NINH
  QUANG-NGAI RACH-GIA
208
QUANG-YEN
  THANH-HOA   SOC-TRANG
198
PHUC-YEN       TAN-AN
HA-NAM       THU-DAU-MOT
        VINH-LONG
112
        SAI-GON
612
      CAP SAINT JACQUES
6

 

TONKIN   ANNAM   COCHINCHINE
1973

 

 

 

Les regroupements provinciaux

 

En l'attente de possibilités de transport vers la Métropole, les futurs O.N.S. furent regroupés dans des camps situés dans les capitales provinciales.

C'est là qu'avait lieu les opérations d'incorporation parmi lesquelles : immatriculation, établissement des livrets et fiches diverses, premières injections de vaccins, perception de l'habillement, coupe des cheveux, etc .....

 

 

L'attente pouvait durer plusieurs mois. Des permissions étaient quelquefois accordées, par exemple pour fêter le Têt 1940. Le temps était occupé à l'apprentissage de rudiments de français et de métier militaire (école du soldat sans arme, ordre serré,...) et à des travaux de cantonnement.

 

Thieu Van Muu - extraits de son livre - Un enfant loin de son pays - p 53

"Nous n'avons été libérés qu'à la veille du jour de l'An lunaire - le "30 décembre" lunaire - . On nous avait donné une permission de trois jours après la fête du Têt. A l'époque c'était vraiment incompréhensible de la part de l'administration du camp de Haiphong"

 

 

Le second contingent de la province de Phu Tho, celui auquel appartenait Thieu Van Muu fut incorporé pour l'essentiel entre le 13 et le 18 octobre 1939. Il embarqua le 11 mars 1940 à Haiphong soit près de cinq mois plus tard.

 

 

 

Pré-acheminement

 

Venait ensuite, pour les O.N.S., le temps de rejoindre le navire qui les emporterait vers la France. De la capitale provinciale, par chemin de fer, ou par mer, les requis rejoignaient au port d'embarquement fixé les entrepôts des compagnies de navigation et autres locaux ou lieux où ils passeraient leurs derniers moments sur la terre natale.

Ils recevaient à l'occasion du départ un premier équipement en effets d'habillement et en matériel de cuisine ainsi qu'une prime d'embarquement de dix piastres. Des effets plus chauds leur étaient remis, non sans difficultés diverses, en prévision de leur exposition à la période froide en Europe, en principe à l'escale de Djibouti, mais quelquefois seulement à l'arrivée à Marseille.

 

 

"Le seul incident notable fut d'ordre sanitaire ; il survint début 1940, dans un contingent de 2 000 requis tonkinois. Monsieur H.K.K. en faisait partie. Il se souvient : "Beaucoup avait attrapé la méningite, du coup on a été obligé de rester à Saïgon pendant trois mois en quarantaine"

 

 

Les traversées

 

 

D'octobre 1939 à mai 1940, quinze voyages furent effectués pour le transport des O.N.S. jusqu'en Métropole.

En voici le détail : (recherche et exploitation des données en cours)

 

Lieux de départ
Dates de départ
Pré-acheminement
Ports de départ
Dates de départ
Arrivée à Marseille
NAVIRES
   
Haiphong 12/10/1939 21/11/1939
   
Haiphong
17/10/1939
27/11/1939
   
Haiphong
03/11/1939
11/12/1939
   
Tourane
17/12/1939
22/01/1940
   
Saigon
18/12/1939
22/01/1940
Hanoi  
Chemin de fer
Saigon
22/01/1940
19/02/1940
   
Tourane
30/01/1940
08/03/1940
 
Tourane
04/02/1940
18/03/1940
 
Tourane
07/02/1940
20/03/1940
 
Saigon
18/02/1940
22/03/1940
   
Tourane 20/02/1940 03/04/1940
Haiphong
11/03/1940
S/S Khai-Dinh
Saigon
15/03/1940
09/04/1940
Haiphong
15/01/1940
S/S Aden
Saigon *
20/03/1940
18/04/1940
Tourane
27/03/1940
S/S Khai-Dinh
Saigon
30/03/1940
22/04/1940
 
Chemin de fer
Saigon
04/05/1940
06/06/1940

* Contingent mis en quarantaine à Saigon


Les O.N.S. n'étaient pas les seuls passagers de ces navires.

Ils voyageaient avec des tirailleurs ou des militaires français rejoignant aussi la France. Ils étaient systématiquement logés à fond de cales, sur des bat-flancs installés à la hâte, souvent à proximité du bétail utile à l'alimentation pendant la traversée.

Pendant le voyage, qui durait de trois semaines à un mois et demi selon les péripéties et le type de navire (cargo ou paquebot), les O.N.S. étaient encadrés par des personnels convoyeurs composés d'un Chef de convoi européen secondé par quelques adjoints européens et par des sous-officiers indigènes. Un personnel médical indochinois (un médecin et des infirmiers) complétait l'effectif sous la direction d'un Médecin-Chef européen ou du cadre européen. Tous étaient désignés par les autorités locales pour l'encadrement des convois.

Les Indochinois, à quelques exceptions près, ne quittèrent pas les bâteaux lors des escales.

 

Arrêtés du Résident Supérieur de l'Annam parus au Bulletin Administratif de l'Annam (Source : B.N.F.)

 

 

Cité par Pierre ANGELI :

La description la plus noire du voyage d’arrivée nous est donnée par le rapport de la 18ème Compagnie :

« Durant la traversée, les travailleurs étaient sous les ordres d’un Inspecteur de la Garde Indigène parlant annamite. Parqués sur le pont et dans les entreponts, les surveillants et les travailleurs étaient menés comme autrefois les esclaves sur les « négriers », recevant presque tous les jours des coups de cravache, de poings et de pieds …
Une épidémie d’oreillons se déclara à bord ; quelques hommes du convoi ayant été atteints furent isolés dans une petite salle percée de deux hublots. Il faisait chaud, l’air manquait. Un travailleur ayant sorti sa tête par un de ces hublots pour prendre l’air fut décapité par un câble au départ de DJIBOUTI ».

Si la plupart des traversées semblent s'être déroulées sans incidents, les conditions de ces voyages ne devaient certainement pas être idylliques, en particulier sur le plan sanitaire. En effet 56 O.N.S. n'arrivèrent pas à Marseille soit pour cause de décès à bord (23 dont 2 accidentels), soit à la suite d'un débarquement sanitaire aux escales (solde de 33 entre les débarqués et les rembarqués guéris). En principe ces 33 hommes seraient rentrés en Indochine pour inaptitude.

Sur ce nombre, celui des décès interroge particulièrement. Une explication serait à rechercher par rapport à l'état sanitaire de certains recrutés avant même l'embarquement..... la moitié des décès ont affecté des recrutés de Cochinchine.

A noter une disparition en mer (un homme tombé par dessus bord) et 29 désertions à l'escale de Saigon lors du passage par ce port de trois convois en provenance du Tonkin (1) et de l'Annam (2).

 

Décès
23
Disparition
1
Désertions
29
Hospitalisations aux escales
33

 

 

Les recrutements, ou en tous cas les départs de contingents, cessèrent dès avant l'Armistice puisqu'aucun navire ne partit d'Indochine après le début du mois de mai 1940 en emportant des O.N.S., du moins n'en avons nous pas trace actuellement.

 

L'arrivée à Marseille

 

A leur arrivée à Marseille, les O.N.S. furent d'abord regroupés dans deux camps installés dans un grand ensemble de bâtiments en cours de finition : la nouvelle prison des Baumettes qui inaugurera ainsi son existence par cette occupation non carcérale. Les conditions de séjour dans ce "camp Baumettes" furent très difficiles car beaucoup d'aménagements n'étaient pas encore terminés (réseau d'eau, portes, sanitaires, .....) et comme on peut le constater la plupart des contingents arrivèrent en période hivernale.

 

 

 

 

Les travailleurs furent ensuite logés en trois camps dits du groupe des Baumettes (à 6 kms de Marseille) :

- Camp Dong Phap constitué par la nouvelle prison des hommes,

- Camp Joffre constitué par la nouvelle prison des femmes,

- Camp Galliéni installé près des deux premiers et constitué de baraquements.

A ces premiers camps sera ajouté ultérieurement un grand camp situé à 2 kms de ces derniers. Ce camp portera le nom de Pham Quynh puis de Camp Viêt Nam après la déclaration d'indépendance du Viêt Nam par Ho Chi Minh.

Ces camps se distinguent parfaitement sur les photos ci-dessous.

 

 

 

Camps du groupe des Baumettes

 

Camp Pham-Quynh puis camp Viêt Nam

 

 

Organisation du Service de la M.O.I.

 

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