LES EMPLOIS - LES TRAVAUX

 

 

"Venus en France au titre de la loi sur l'organisation de la main d'oeuvre en temps de guerre, les Travailleurs Indochinois furent immédiatement affectés à des usines et entreprises travaillant pour la Défense nationale, en qualité de simples manoeuvres..

La considération qui prima l'emploi de ces travailleurs était celle du rendement collectif ; on savait fort bien qu'il était pratiquement imposssible d'obtenir un rendement individuel analogue à celui des ouvriers remplacés et l'on se contentait d'affecter massivement cette main d'oeuvre à des entreprises importantes pour en obtenir les meilleurs résultats totaux possibles."

 

Les productions de guerre

 

Très rapidement après leur arrivée, nous l'avons dit, les Travailleurs Indochinois rejoignent des cartoucheries, des arsenaux, des poudreries sur l'ensemble du territoire mais à l'arrière des combats.

Voici les principales affectations qui ont été les leurs au début du conflit.

Dans ces établissements, les Indochinois sont utilisés à des opérations pénibles, dangereuses et peu spécialisées telles le remplissage d'obus avec de la poudre explosive. Ceci dans un contexte nouveau pour eux qui étaient en majorité agriculteurs : on pense en particulier au travail à la chaîne et au travail posté.

 

L'exode et l'Armistice

 

La défaite militaire et la signature de l'Armistice ont pour conséquences, nous l'avons vu, d'une part un reflux des compagnies les plus au nord vers la zone libre, et d'autre part, l'arrêt des productions de guerre.

 

L'Exode des Compagnies

En juin 1940, lors du rush des armées allemandes, une partie des Centres où travaillaient les compagnies indochinoises sont exposés à l'avance ennemie.

Les compagnies concernées connurent des fortunes diverses. Les 11ème, 21ème et 68ème restèrent sur leur lieu de travail. La plupart des autres unités menacées choisirent de se replier vers le sud, qui en train, qui à pieds.

Certaines compagnies et quelques groupes de travailleurs égarés furent emprisonnés et passèrent un temps plus ou moins long en détention avant qu'un accord général avec l'occupant ne permette leur rassemblement dans la zone non occupée.

 

Une description de l'exode de la 35ème compagnie nous est donnée par l'interprète LE HUU Tho dans son livre "Itinéraire d'un petit mandarin".

Durant la débâcle, l'attitude d'une partie de l'encadrement européen est à stigmatiser, qui abandonna les hommes en pleine épreuve. A cette occasion, plusieurs surveillants annamites firent montre du courage et de l'initiative nécessaires pour faire rejoindre le sud à leurs compagnons.

 

Que va t'on faire de ces milliers d'hommes, qu'en attendant il faut entretenir aux frais de l'Etat, la plupart d'entre eux n'ayant plus d'activité ?

Après quelques mois, nécessaires à leur regroupement en zone sud, la décision est prise de les rapatrier. Parallèlement, et pour essayer de leur trouver un emploi durant la période précédant leur embarquement, le cahier des charges régissant les rapports entre la M.O.I. et les employeurs d'Etat est modifié pour permettre leur affectation à des entreprises privées (février 1941).

 

L'emploi des Travailleurs Indochinois était soumis à l'acceptation préalable par l'employeur d'un cahier des charges. Venait ensuite la signature d'un contrat de mise à disposition qui précisait les conditions particulières à la mission.

Pour coller à l'évolution de la situation, ce cahier des charges évoluera à plusieurs reprises, afin de permettre une utilisation des travailleurs par d'autres employeurs que les industries de guerre. Six cahiers des charges furent successivement élaborés dont les trois premiers répondaient à cet objectif. Le premier, du 2 décembre 1939, permettait la mise à disposition des travailleurs à des établissements de l'Etat. Le suivant, du 2 février 1941 autorisait les entreprises publiques et privées à contracter avec la M.O.I. Enfin, le 11 décembre de la même année, c'est au tour des services départementaux et communaux, des services militaires et de l'Air de pouvoir utiliser les compagnies.

Les principaux points contenus dans ce cahier des charges concernaient l'organisation de leur emploi (durée du travail, transport ou hébergement des travailleurs).

Concernant les "salaires", aucun versement direct ne devait être fait au travailleur. L'employeur versait à l'Etat une somme prévue au contrat de mise à disposition, somme que le Service de la M.O.I. utilisait pour subvenir à l'entretien des travailleurs, en particulier l'alimentation, l'habillement, la gestion administrative, etc... et pour leur verser des "avantages pécuniaires" (prime de travail, allocation journalière, pécule, indemnité de famille).

 

 

Les rapatriements doivent, hélas, s'interrompre en septembre 1941 suite à la rupture des liaisons maritimes avec l'Indochine. Une période de grande incertitude concernant la durée du séjour en France des travailleurs indochinois s'ouvre alors. On peut, en tous cas, prévoir qu'il sera long. Il n'est désormais plus question de les laisser inoccupés, alors qu'il faut subvenir à leur entretien, et que le pays manque cruellement de bras et souffre de pénurie alimentaire et énergétique.

Le Service de la M.O.I., fraîchement rattaché au Commissariat à la Lutte contre le Chômage, doit adopter des mesures pour essayer de mettre les O.N.S. au travail afin d'alléger, voire d'équilibrer, la charge financière qu'ils représentent.

Les compagnies non rapatriées sont alors redéployées avec une forte dominante forestière et agricole rendue possible par les modifications apportées au Cahier des Charges cité ci-dessus.

 

La période sylvestre

 

"En dehors de quelques compagnies mises à disposition de l'Autorité militaire pour des travaux de garnison, surtout dans la région de Toulouse, de quelques compagnies que les poudreries réemployèrent peu à peu, à Sorgues et à St Chamas, et des deux Unités travaillant aux textiles lyonnais, la plupart des effectifs furent affectés à des travaux ruraux"

"Dans l'Indre et la Dordogne, plusieurs compagnies travaillent à la Restauration paysanne"

 

 

En Camargue, la 25ème compagnie est affectée à la réimplantation de la riziculture.

"Aux Salins de Giraud et du Relais, deux, puis quatre compagnies firent plusieurs récoltes du sel, dans des conditions de vie extrêmement pénibles.,L’été, le soleil produisait une réverbération intense sur les collines de sel d’un blanc immaculé ; nul travailleur ne perçut les lunettes noires indispensables sur les salines à cette saison. L’hiver, le vent glacial soufflait librement à travers la plaine de Camargue, perçant les vêtements les plus chauds ; mais le travail continuait quand même, et l’employeur ne se résolut jamais à doter les Indochinois des bottes en caoutchouc qu’il avait en magasin et que tous les travailleurs européens de l’usine avaient reçues. Le travail continuait dans l’eau glaciale où il fallait patauger toute la journée. Les rapports indignés des commandants de compagnie se succédèrent pendant deux années, mais les trois dernières compagnies ne furent soustraites à cette malheureuse vie qu’en décembre 1943. Un petit cimetière commémore le passage des Indochinois aux salines de la société Péchiney.

 

 

Mais la plus grande partie des effectifs fut affectée aux travaux forestiers.

"La pénurie de combustible, et celle de l’essence, avaient donné à l’industrie du bois et du charbon de bois un grand essor. Les coupes forestières et les chantiers de carbonisation se multiplièrent à mesure que les voitures automobiles utilisèrent des appareils gazogènes et qu’augmenta la demande de bois de chauffage.
En avril 1942, 36% de l’effectif faisait du forestage. Il y avait 25 compagnies dans les forêts de l’Aveyron, des Cévennes, du Ventoux, des Monts de Provence, de la Drôme et des Alpes Maritimes, disséminées en détachements et à la disposition de multiples employeurs."

 

 

 

Cette période sylvestre se prolongera jusqu'à l'invasion de la zone libre en novembre 1942. La conséquence la plus importante de cet envahissement fut la mise à disposition progressive de la main-d'oeuvre indochinoise au service de l'effort de guerre allemand. Certes les Indochinois ne furent pas astreints au départ en Allemagne, mais il devint de plus en plus difficile pour leur hiérarchie de les soustraire aux pressions ennemies. Leur retour dans les entreprises industrielles constitua le premier pas vers leur utilisation accrue au service de l'ennemi.

 

La période industrielle

 

"Aussitôt après leur installation en Zone Sud, les Allemands organisèrent un contrôle étroit de l’industrie française.

Ils accordèrent aux usines, aux poudreries, aux ateliers de chargement des contingents supplémentaires de matières premières, à la condition que l’accroissement de production qui en résulterait leur serait réservé pour la plus grande partie. Ces entreprises durent par conséquent engager un personnel supplémentaire, au moment même où la main d’oeuvre française commençait à partir en Allemagne, et où de nombreux jeunes gens rejoignaient les maquis.

Les Travailleurs Indochinois constituaient une main d’œuvre qui n’était pas dédaignable, en quantité sinon en qualité. Le Gouvernement se résolut à les affecter en nombre de plus en plus grand aux entreprises industrielles.

 

Usine France Rayonne à Roanne

 

et dans l’Ardèche six compagnies travaillaient aux textiles artificiels ; une autre dans une usine de pneumatiques à Clermont-Ferrand, une au clivage du mica à Brive, une aux tuileries de Roumazières, en Charente, une répartie en divers détachements affectée à l’industrie dans la région marseillaise, et trois aux Usines Alais Froges et Camargue de Salindres.

 

Dans une usine textile de l'Isère

 

 

D’autre part, à Sorgues, St Chamas, Toulouse et Bergerac, une quinzaine de compagnies avaient repris le travail dans les poudreries.

Mais le Service de la M.O.I. n’était pas au bout de ses peines. Les exigences allemandes se faisaient de plus en plus pressantes et impérieuses. On ne pouvait tenir indéfiniment 25% des Indochinois à des occupations rurales, et le rendement était trop faible dans l’industrie pour que l’occupant ait scrupule d’aller y chercher de la main d’œuvre. Déjà dans le courant de 1943, la 20ème Compagnie avait été mise à la disposition d’une société allemande pour des travaux de forestage dans le Lot ; puis il fallut livrer quatre compagnies à l’Organisation Todt Marseille. Dès la fin 1943, 1 300 hommes (9,50% de l’effectif), travaillaient pour les « autorités occupantes ».

Le jour était proche où le Service de la M.O.I. n’allait plus pouvoir résister aux demandes sans cesse répétées des Allemands."

 

 

La réquisition au profit de l'Organisation TODT

 

"Ce fut chose faite en janvier 1944, après plusieurs mois de négociations.

Une dizaine de compagnies venant du Languedoc, de Sorgues, des Salines de Camargue sont égrenées le long de la côte méditerranéenne à Antibes, Théoule, Fréjus, Toulon, La Ciotat, Marseille, Port de Bouc, Sète, pour y construire en hâte la réplique du fameux « mur de l’Atlantique » qui doit briser tous les assauts.
Pour la première fois depuis l’Armistice, cinq compagnies sont envoyées en zone nord, où elles travaillent à Salbris pour le compte direct des Allemands."

 

Dans son livre "Gouverneur dans le Pacifique", Aimé Louis GRIMALD, Directeur de la M.O.I. en 1943 et 1944, raconte :

"Le poste est lourd, difficile, périlleux, mais combien passionnant. Il s'agit de protéger nos ressortissants dans une époque où la tension va croissant entre les Français, de plus en plus hostiles à l'occupant, et les exigences de celui-ci, de plus en plus demandeur de main d'oeuvre, dont ces unités indochinoises encadrées auxquelles j'évite le transfert en Allemagne et que souvent, sous des prétextes variés, nous réussissons à soustraire à la boulimie de l'Organisation Todt, cette institution vorace qui est mon cauchemar permanent, adversaire puissant et redoutable. Mes démêlés avec l'O.T. vaudraient d'être contés, j'aurais dû en faire la relation, étayée par toute la documentation que j'ai conservée, dans le cadre de l'Histoire de la France sous l'occupation."

 

Lors du Procès de Nuremberg, le rapporteur français, Edgar FAURE, évoqua cette période de "travail forcé".

 

 

Nuremberg Trial Proceedings Vol. 5

Friday, 18 January 1946

Morning Session

"The statement which I have the honor of presenting to the Tribunal will be limited to the account of the recruiting of foreign labor in the occupied territories of Western Europe, since the deportation of workers coming from Eastern Europe will be dealt with by my Soviet colleagues.
During the whole duration of the occupation the local field commanders imposed conscription of labor on the populations of the occupied territories. Fortification works considered necessary for the furtherance of military operations and guard duties made necessary by the need of maintaining the security of the occupation troops were carried out by the inhabitants of the occupied areas. The labor requisitions affected not only isolated individuals but entire groups.
In France, for instance, they affected, in turn, groups of IndoChinese workers, workers from North Africa, foreign workers, and Chantiers de Jeunesse (youth workyards). I produce in evidence an extract from the report on forced labor and the deportation of workers drawn up by the Institute of Statistics of the French Government. This report bears the Document Number F-515 and I submit it to the Tribunal under Exhibit Number RF-22. This document, because of its importance, has been taken out of the document book. I quote first of all Page 17 of the French 449 18 Jan. 46 text and 17, likewise, of the German translation, second paragraph before the end:
"Paragraph 6: The forced labor recruitment of constituted groups:
"Finally, a last procedure employed by the Germans on a number of occasions during the whole course of the occupation, for direct forced labor as well as for indirect forced labor: the 'requisition! of constituted groups already trained and disciplined and consequently an excellent contribution. "(a) Indo-Chinese labor (M.O.I.): This formation of colonial workers had been intended from the beginning of hostilities to satisfy the needs of French industry in unskilled labor. Under the control of officers and noncommissioned officers of the French Army, who became civilian officials after the month of July 1940, Indo-Chinese labor was, from 1945 on, compelled to do partial forced labor, directly as well as indirectly."

 

C'est durant cette période que l'on dénombra les premières victimes de faits de guerre dans les rangs des compagnies indochinoises, ceci du fait des bombardements.
Ainsi, le 13 mai 1944, le bombardement de la Poudrerie Nationale de Bergerac causa la mort de cinq travailleurs.

 

 

Lors de la Libération

 

"La fuite des Allemands avait laissé de nombreuses compagnies sans travail ; et jusqu’au rétablissement des communications avec Paris, les commandants de compagnie se « débrouillèrent » seuls, recherchant sur place des employeurs pour leurs hommes."

On retrouvera ainsi :

- trois compagnies dans le Montbazillac, huit compagnies dans le Languedoc, deux compagnies dans la région de la Loire et d’une demi-douzaine en Provence pour les vendanges,

- d’autres travaillèrent en Sologne à l’arrachage des pommes de terre ou au forestage,

- d’autres encore furent requises par les autorités locales pour la réfection d’aérodromes ou de terrains militaires,

- en octobre, l’armée américaine engagea près de 2 500 hommes pour aider au débarquement du matériel et du ravitaillement à Marseille et Port de Bouc,

- l’autorité militaire de la XVIIIème Région commandait de la main d’œuvre indochinoise pour des travaux de garnison à Bordeaux (trois compagnies) et Mont de Marsan (une compagnie),

- en janvier 1945, 1 780 hommes étaient ainsi employés à des travaux de garnison et 2 500 déchargeaient les navires américains. Trente pour cent de l’effectif total contribuait ainsi à l’effort de guerre qui reprenait en France au profit des Alliés et, pour la première fois depuis l’Armistice, les Indochinois retrouvaient la raison d’être de leur venue en France.

- à partir de janvier, plusieurs compagnies furent affectées à des hôpitaux militaires. Les hommes y assuraient le service général intérieur.

 



Lorsque la VIIème Armée américaine et la Ière Armée française cessèrent d’être ravitaillées par la Provence où elles avaient débarquées, la majeure partie des compagnies dépendant de la Base de Marseille fut réduite au chômage.

Le nombre des chômeurs ne cessa de croître jusqu’à la fin de l’année 1945 :
En avril 2 500, en octobre 2 800, en décembre 4 200.
La concurrence des travailleurs français, rentrés d’Allemagne ou démobilisés, celle des prisonniers de guerre allemands se fit sentir.

 

Après la guerre

 

 

En attendant de pouvoir rapatrier les Travailleurs Indochinois, nous en avons déjà parlé, les autorités mettent au point un programme de formation professionnelle que nous aborderons dans un prochain chapitre. Dans les faits, cette action ne concernera qu'un nombre limité de travailleurs, de l'ordre de 2000. Nous verrrons pourquoi.

Les autres furent placés tant bien que mal chez une multitude d'employeurs et dans de nombreux départements. Le chômage continuait cependant à progresser.

Certains, qui demandèrent à bénéficier de la possibilité d'obtenir une levée de réquisition trouvèrent par eux mêmes un emploi. Cette situation perdura jusqu'au départ des derniers rapatriés.

 

Par une Instruction interministérielle du 5 juin 1945, les travailleurs pouvaient bénéficier d'une levée de réquisition temporaire.

La levée de réquisition faisait du travailleur encadré un "travailleur libre".

Il pouvait contracter un emploi par lui même, recevait dès lors son salaire directement et complètement de son employeur mais devait pourvoir à sa nourriture, à son logement et à son habillement. Il conservait le droit au rapatriement mais devait s'embarquer avec les travailleurs de sa compagnie le moment venu.

Source : Pierre Angeli

 

 


 

Conditions de vie

 

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